Les ministres européens de l'éducation ont adopté, le 18 octobre 2002, la déclaration qui institue une journée de mémoire de la Shoah et de prévention des crimes contre l'humanité.
La France et l'Allemagne et l'Italie ont choisi le 27 janvier.
Il s'agit d'une date symbolique car elle correspond à l'anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz-Birkenau par l'Armée Rouge.
Le travail de mémoire et de commémoration doit passer par les enfants et les adolescents. Cette journée de souvenir est l'occasion d'engager une réflexion sur la Shoah et tous les génocides et de rappeler les valeurs humanistes qui fondent la démocratie.
Je m’appelle Francine Cristophe. Je suis née le 18 août 1933. 1933, c’est l’année où Hitler prend le pouvoir. Voilà. C’est mon étoile. Je la porte sur la poitrine, bien entendu, comme tous les juifs. C’est gros, n’est-ce pas ? Surtout sur une poitrine d’enfant, puisque j’ai 8 ans à ce moment-là.
Il s’est passé dans mon camp de Bergen-Belsen quelque chose de tout à fait extraordinaire. Je rappelle que nous étions des enfants de prisonniers de guerre et à ce titre privilégiés. Donc, nous avions eu le droit d’emporter de France un petit… un petit sac avec 2-3 petites choses. Une femme, un petit bout de chocolat; une femme un petit morceau de sucre; une femme, une petite poignée de riz. Maman avait
emporté deux petits morceaux de chocolat. Elle me disait : « On garde ça pour le jour où je te verrai vraiment, complètement par terre, fichue. Je te donnerai ce chocolat. Il t’aidera peut-être à remonter ».
Or, il y avait parmi nous une femme qui avait été déportée, alors qu’elle était enceinte. Ça ne se voyait pas évidemment, elle était si maigre.. Mais n’empêche que le jour de l’accouchement est arrivé. Elle est partie au revier1 accompagnée de ma mère qui était notre chef de baraque. Et avant de partir ma mère me dit :
- « Tu te souviens que je garde un morceau de chocolat ? »
- « Oui, maman. »
- « Comment te sens-tu ? »
- « Bien, maman. Ça peut aller. »
- « Alors, si tu me le permets, ce morceau de chocolat, je l’apporterai à notre amie Hélène, parce que un accouchement ici…., elle va peut-être mourir. Et si je lui donne le chocolat, ça l’aidera peut-être. »
- « Oui, maman, tu le prends. »
Hélène a accouché. Elle a accouché d’un bébé… une toute petite chose malingre. Elle a mangé du chocolat. Elle n’est pas morte. Elle est revenue dans la baraque. Le bébé n’a jamais pleuré. Jamais ! Pas même geint. Au bout de six mois, la Libération est arrivée. On a défait tous ces chiffons. Le bébé a crié. C’était là, sa naissance. On l’a ramené en France. Un tout petit truc de six mois, minuscule.
Il y a quelques années, ma fille me dit : « Maman, si vous aviez eu des psychologues ou des psychiatres à votre retour, ça se serait mieux passé pour vous».
Je lui dis : « Sûrement, mais il n’y en avait pas. Personne n’y aurait pensé, s’il y en avait eu. Mais tu me donnes une bonne idée. On va faire une conférence là-dessus ».
J’ai organisé une conférence sur le thème : « Et s’il y avait eu des psys en 1945, à notre retour de camp, comment est-ce que ça se serait passé ? ».
J’ai eu beaucoup de monde. Des anciens, des survivants, des curieux, et puis beaucoup de psychologues, psychiatres, psychothérapeutes… Très intéressant. Chacun avait son idée. C’était très bien.
Et puis, il y a une femme qui est arrivée et qui a dit : « Moi, j’habite Marseille. Je suis médecin psychiatre. Et avant de vous faire ma communication, j’ai quelque chose à donner à Francine Cristophe ».
C’est-à-dire à moi. Elle fouille dans sa poche. Elle sort un morceau de chocolat. Elle me le donne. Et elle me dit : « Je suis le bébé ».
1revier : dans le langage des camps de concentration nazis, c’était un baraquement destiné aux
prisonniers malades des camps. La plupart du personnel médical venait du corps prisonnier lui-même (de
l’allemand, krankenrevier, le quartier des malades)